L’éducation canine est quelque chose de très technique, qui se compose de dizaines et de dizaines de méthodes, de façon de penser ou d’aborder une situation. Malheureusement, régulièrement des personnes cherchent "des astuces" qu’elles combinent sans avoir conscience de leurs fonctionnements, ce qui crée des incohérences. Ces incohérences rendent l’éducation floue, moins efficace voir contradictoire.
Dans ce premier article de petites notes, nous allons parler de ce conseil : "dire NON d'un ton ferme et ignorer le chien".
En soit, je pourrais écrire un article entier sur le "non". Pour beaucoup c’est un "ordre de base" et pourtant, très rares sont ceux qui prennent le temps de l’apprendre à leur chien. Je parle d’un véritable apprentissage, lié à un comportement, exactement comme on apprend "assis", "couché" ou "au pied". Quel est le comportement exact attendu quand on dit "non" ? Souvent, on attend que le chien cesse son comportement, mais qu’est-il censé faire à la place ? Le chien n’est pas muni d’un interrupteur … Au final, le "non" est très peu souvent "un ordre". Le "non" est une petite punition.
Si vous avez lu le
Récapitulatif sur les concepts intéressants en éducation canine, vous vous souvenez peut-être qu’il existe deux types de punitions.
Petit résumé sur le sujet :
P- : punition négative ou punition par retrait (le comportement du chien ne lui permet pas d’obtenir ce qu’il désire et il finit par "changer de tactique", lorsque la tactique nous convient, nous récompensons pour la garder)
P+ : punition positive ou punition par ajout (le comportement du chien lui apporte quelque chose qu’il ne désire pas, lorsque ce qu’il désire est moins fort que ce qu’il obtient d’indésirable, le comportement cesse)
Nous allons prendre un cas concret : un chiot mordille pour obtenir le contact. Avec une punition négative, nous ignorons le chiot (retrait de l’attention) jusqu’à ce qu’il change de manière d’obtenir le contact. Lorsqu’il tente de s’asseoir en nous regardant, nous nous retournons et nous le félicitons. Plus tard il utilisera ce comportement appris pour attirer notre attention.
Avec une punition positive, nous ajoutons à la situation un "NON". Ce "NON", peu agréable, fournit un contact : nous regardons le chiot, nous lui parlons, nous communiquons, … Donc mordiller permet de réussir son but : obtenir le contact. Est-ce que le "NON" est suffisamment démotivant pour que le chiot ne cherche plus le contact ? C’est la question de fond qui va se poser pour chaque punition positive, est-ce qu’elle est suffisamment forte pour démotiver ? Si la punition "NON" fonctionne, le chiot s’éloigne et part … jusqu’à ce qu’il est de nouveau envie de contact et réessaie maladroitement. Il n’y a pas d’apprentissage d’un nouveau comportement, il y a seulement de la fuite face à une punition.
J’aimerai maintenant attirer votre attention sur un détail qui a toute son importance, on conseille d’employer le "NON" d’un ton ferme. Si je veux obtenir "Assis", je peux le murmurer. Le ton qui est employé fait partie intégrante de la punition. Sinon le "non" n’est qu’un mot. Seulement c’est un mot EN MAJUSCULE, prononcé d’un ton ferme. Il faut au moins ça pour décourager… et bien souvent ça ne fonctionne pas.
Dans le cas d’un chiot qui mordille, le "NON" est une communication qui répond à la recherche du chiot. Donc s’il n’est pas assez fort, au lieu de punir, il montre que c’est une bonne méthode et renforce le problème. Pour obtenir une punition, on se retrouve donc vite dans une escalade de la violence … Le "NON" ferme se transforme en "mordre" ou "taper", … Alors, autant le déconseiller !
Maintenant que l’on a parlé des deux points, le "NON" ferme et le fait d’ignorer, nous allons parler du fameux conseil : "dire NON d'un ton ferme et ignorer le chien". Nous allons rester dans notre cadre du chiot qui mordille, car c’est un très bon exemple pour placer "ignorer le chien".
Donc, le chiot mordille et on attaque avec un "NON" ferme. A cette punition, le chiot pourra avoir diverses réactions … seulement, nous ne nous en occupons pas puisque à présent, nous l’ignorons. Il faut comprendre qu’en éducation canine le timing change tout.
Petit exemple où le timing montre toute sa valeur avec une punition négative. Mon chien aboie pour sortir. Je veux lui ouvrir la porte, mais j’aimerai aussi qu’il se taise. A chaque fois qu’il se tait, j’avance vers la porte. A chaque fois qu’il aboie, je m’éloigne. Pour obtenir ce qu’il veut, c’est-à-dire, que la porte s’ouvre, il faut qu’il se taise. Très vite, les chiens comprennent la situation, pour peu qu’il ne soit pas totalement pris dans l’excitation, sinon, c’est un peu plus délicat. Aucune astuce, rien d’autre n’est nécessaire pour régler cette situation. Il ne faut que de la cohérence et un bon timing. La situation ne demande aucun ajout. La punition est claire : si tu fais ça, tu n’obtiens pas ce que tu veux. La récompense est claire elle-aussi : si tu fais ceci, tu obtiens ce que tu veux.
Si quand mon chien aboie, je dis non, puis je me retourne, puis il se tait, je ré-avance vers la porte, il aboie, je me tourne vers lui, je lui parle pour lui dire "non" et je l’ignore à nouveau … Le timing sera forcément plus compliqué à tenir. Et si le chien se tait au "NON", est-ce que je dois l’ignorer ? Autrement dit, est-ce que "dire "NON" et ignorer" est 1 punition ou 2 punitions ? En soit, même utilisées côte à côte, ce sont deux punitions différentes.
Le problème, c’est que l’on va se retrouver avec un bug dans le timing. La première punition le "NON" va punir (ou pas) le comportement dérangeant. A ce moment-là, même en disant que notre timing est parfait, il faut un petit temps pour dire "NON" d’un ton ferme et pour se retourner afin d’ignorer. Donc notre seconde punition, notre punition négative, va forcément arriver en retard … puisqu’elle aurait dû intervenir quand nous avons choisi de dire "NON". Alors que va-t-elle punir exactement ? Pour que ce soit clair pour le chien, il faut que la punition soit vraiment limpide … Est-ce qu’elle punit l’aboiement (ou le mordillement) ? Ou la réaction au "NON" ? Ou le fait qu’à côté, quelqu’un soit passé ? Ou n’importe quoi qui soit survenu dans l’environnement durant ce tout petit laps de temps ?
Donc, on a un bug de timing qui rend la punition négative relativement inapproprié … Mais on a aussi un problème de fond. Avec une punition positive, on attend du chien qu’il perde l’envie, qu’il n’ose pas tester.
Imaginez, vous voulez attraper une pomme. Si vous sautez, vous pouvez vous recevoir une branche dans la tête ou peut-être que vous n’atteindrez pas la pomme. De quelle punition vous préoccupez vous ? Vous prendre la branche dans la tête ou ne pas attrapez la pomme ? Si vous ne pouvez pas vous faire mal, vous allez tenter plein de truc pour obtenir la pomme : grimper à l’arbre, mettre un truc à escalader sous la pomme, attraper le bout de la branche et remonter doucement jusqu’à votre prise … Si chacune des tentatives se soldent par une branche dans la tête et une belle bosse, au bout d’un moment vous cesserez parce que la motivation disparaît … C’est juste trop risqué, à moins d’être vraiment affamé (peu importe la punition positive employée, une très forte motivation peut amener le chien à accepter d’en "payer le prix" ). Donc, à moins d’être très motivé, vous n’apprendrez pas à attraper les pommes. Seulement, ça va un peu plus loin que ça. Vous n’essayerez pas milles méthodes. Donc les coups de branches se suffisent à eux-mêmes … Le fait de ne pas réussir à prendre la pomme par telle ou telle méthode ne changera pas grand-chose à l’histoire.
Toute la question est, est-ce que vous voulez laisser à votre chien une chance d’apprendre un bon comportement ou est-ce que vous voulez qu’il s’éteigne totalement et qu’il n’éprouve plus l’envie ? Quand un chiot mordille pour chercher le contact, avec un "non" ferme, la méthode employée amène à "il ne doit plus éprouver l’envie d’être à mon contact" alors qu’en ignorant le chiot, la méthode employée amène à "il doit trouver une solution "polie" pour obtenir mon contact". Il ne risque rien de grave, il peut tester autant qu’il veut, il peut se tromper sans que les conséquences soient douloureuses ou inquiétantes, …. Donc quand on donne une punition négative, on accepte d’office l’idée qu’il y aura d’autres bêtises jusqu’à ce qu’il trouve quelque chose qui ne soit pas une bêtise à nos yeux.
Combiner ces deux punitions (non & ignorer) n’apporte rien de bon, car elles sont diamétralement opposées au fond et leurs combinaisons provoquent des problèmes de timing … Donc se renseigner sur les astuces, c’est très bien, mais l’important, c’est de comprendre comment ça marche et pourquoi ça marche, sinon vous allez vous retrouvez avec de drôles de résultats un peu étranges.