Aujourd’hui j’aimerai vous parler des programmes que l’on peut mettre en place pour venir modifier un comportement. Par le mot programme, je vais désigner des choses que vous pourriez appeler « méthodes », « protocoles », « approches », … Bref, on va parler de l’ensemble de ce que l’on fait pour venir modifier un comportement précis ou un ensemble de comportement.
Souvent quand je fais un article pour détailler un petit point, je donne l’impression, à tort et bien malgré moi, que ce point suffit pour travailler la totalité de la problématique. Ce n’est pourtant pas le cas. Ce n’est qu’un détail dans un programme beaucoup plus vaste, parfois un point important voir capital mais ce n’est jamais le programme complet ! Pourquoi ? Tout simplement parce que je ne peux pas vous donner le programme complet. Ce n’est pas que je n’en ai pas envie, mais il y a des points importants que j’ignore (par exemple des détails dans le quotidien du chien), des points importants que je considère comme des prérequis (par exemple que l’on ait une bonne relation avec le chien en question) et puis des particularités individuelles (par exemple l'état de santé, la motivation, ...).
Prenons un exemple concret et réel. Lorsque je propose un programme, j’aime suivre l’impact qu’il a sur les émotions du chien pour cela, on prend un moment pour observer et faire une prise de note. C’est donc un point commun à mes différents programmes. Seulement, tous les individus ne sont pas identiques… et parmi tous les chiens avec qui j’ai pu mettre cela en place, il y a Anastasia (prénom modifié), une louloute adorable qui se retrouve particulièrement frustrée lorsqu’elle voit qu’on l’observe sans interagir avec elle. Notre petit moment d’observation qui est là pour noter son émotion modifie son émotion… et pas juste un peu : ça la met dans un état de nerf assez étonnant. Pour elle, ce bout de mon protocole est une mauvaise idée. A partir de là, on va essayer de faire autrement avec elle !
Ce n’est qu’un petit exemple pour montrer à quel point un programme doit être personnalisé et bien-entendu, ce programme est établi après un bilan, après avoir compris du mieux possible ce qu’il se passe concrètement. Mais en ayant toute cette approche de l’individu en tête, on pourrait quand même lister les grands points communs que l’on retrouve d’un programme à l’autre. Alors, qu’est-ce qu’est-ce qu’il y a dedans ?
- Des propositions pour remplir le(s) besoin(s) concerné(s) par le problème
- Des propositions d’anticipation afin que le problème n’arrive pas
- Des propositions pour aider l’humain, pour rendre la situation plus facile
- Des propositions de comportements à encourager
- Des propositions pour gérer si le problème arrive malgré tout
- Des propositions pour vérifier si ce que l’on fait aide (ou pas)
J’avais commencé par lister des « solutions » mais après réflexion, je préfère le mot « proposition ». Refuser une proposition, ça me semble plus simple que de refuser une solution. Or quand un professionnel vous propose un programme, il ne vous propose pas la seule et unique possibilité au monde. Il y a des tas d’aménagements potentiels, des tas d’approches, des tas de manières de faire, … et vous avez le droit de refuser. Pire, vous avez le droit d’avoir du choix !
Reprenons dans l’ordre pour comprendre un peu mieux chacun de ces points. En premier, nous parlons de besoins parce que derrière chaque souci, nous pouvons aborder cette question. Par exemple : le chien tire en laisse ? Pourquoi ? Peut-être parce qu’il a trop besoin d’explorer, peut-être parce qu’il a trop besoin de se dépenser, peut-être parce qu’il a trop besoin d’aller voir ces congénères qui sont en face, peut-être parce qu’il a trop peur et donc besoin de se mettre en sécurité, … Bon cela pourrait aussi juste être pour une question de méconnaissance. Le chien peut simplement ne pas savoir, mais même ainsi, en comblant bien ses besoins, on l’aide à être plus facilement disponible pour l’apprentissage. C’est pour ça que j’aborde systématiquement les activités que l’on fait avec son chien et à quoi ressemble son quotidien.
N’oubliez surtout pas Anastasia qui réagit mal à l’observation… quand on propose une activité à un binôme, on ne sait pas exactement ce que cela va donner. C’est pour ça qu’il est intéressant de proposer plusieurs activités (pour qu’ils choisissent ce qu’ils préfèrent !) et de surveiller les effets que cela a. Ne partez surtout pas du principe que si le problème est W alors il faut faire l’activité X… ou pire encore que si le chien est de race Y alors il faut faire l’activité Z. Tout dépendra de l’effet réel de l’activité choisie !
Prenons un exemple, si je choisis une activité de « cani-cross » pour faire une dépense physique mais que le chien devient extrêmement excité, qu’il monte en frustration et qu’il rentre plus énervé qu’il n’est parti, alors je fais sans doute fausse piste. Parfois, il faut simplement changer d’idées et ici d’activités. Parfois, il faut modifier des éléments au sein de l’activité. Ici cela pourrait être de trottiner gentiment sans encourager le chien à la voix encore et encore. Ou encore, de faire une période de marche, tranquillement, pour laisser le chien redescendre en pression avant de rentrer. Le moindre détail au sein de l’activité peut avoir un impact qu’il soit souhaitable ou non.
Nous venons donc modifier le quotidien du chien et de sa famille puis nous allons essayer de faire en sorte que le problème n’arrive plus, pas parce que le chien est « guéri » ou « a compris » mais parce que son environnement va être modifié. Prenons un autre exemple différent des précédents, si le chien vole des chaussettes dans la panière, on isole la panière rendant le comportement impossible, on installe pleins de trucs qu’il a le droit de prendre pour le réorienter… Néanmoins, parfois, ce n’est pas possible de modifier l’environnement ou pas possible de le modifier suffisamment. Cela peut également être très lourd pour la famille et c’est pour ça que l’on ne s’arrête pas là.
Dans le troisième point, j’ai remis l’humain au centre de notre programme car il va devoir faire beaucoup d’efforts pour mettre tout cela en place, mais on peut aussi lui simplifier la vie. Cela peut être à travers un choix d’équipement, le droit à des « jours de congés », des apprentissages pour l’aider, … Pour cela il est intéressant de définir ses difficultés et de chercher des solutions qui pourraient lui correspondre. Par exemple, imaginons que cet humain ait un chien qui aura tendance à s’auto-mutiler s’il ne s’occupe pas de lui, une situation particulièrement difficile moralement mais également en termes de temps et d’énergie. Peut-être que s’accorder une après-midi de repos de temps à autre en confiant le chien a une autre personne (un promeneur, un pensionneur, un membre de la famille, …) est une bonne idée. Peut-être que prévoir des activités que le chien peut faire seul et longtemps pendant ces moments là est une meilleure solution pour cette personne. Etc. On va chercher ce qui est le mieux pour eux. Si jamais vous voulez établir un programme pour votre propre chien, ne vous oubliez pas, vous êtes là et vous comptez ! Plus encore : tout les membres de la famille compte, il est très intéressant de communiquer pour essayer de trouver ce qui peut aider les uns et les autres.
Dans le quatrième point, on va aborder le gros du travail, généralement c’est un comportement que l’on cherche à faire augmenter. Il faut trouver ce que l’on désire réellement et on peut le récompenser directement (par exemple en donnant une friandise) ou le rendre auto-récompensant. Imaginons que votre souci c’est que votre chien vous regarde tout le temps… On va installer des choses qu’il aime dans son environnement, qui vont l’attirer et qui iront récompenser le fait de « faire sa propre vie ». L’important c’est que ce bon comportement soit amené à se reproduire, qu’il apparaisse de plus en plus souvent et plus en plus facilement.
Dans le cinquième point, on admet que ce n’est pas parce que l’on commence à travailler que le souci va instantanément disparaitre. Le problème va apparaître. On aura des loupés et il faut le prendre en compte, il faut savoir comment réagir, comment minimiser l’impact, comment rattraper les choses, … Imaginons que nous travaillons le fait de ne pas sauter sur les gens et un jour, une personne arrive, le chien saute, la personne l’encourage. Nous nous sommes loupés dans notre anticipation (ça arrive !). Très bien, qu’est-ce que l’on fait ? Est-ce qu’on laisse l’incident se terminer tout seul, est-ce que l’on détourne, est-ce que l’on part sur de la pédagogie avec les autres humains, … ? En fonction de ce que l’on travaille et des individus la réponse sera différente.
Et enfin, mon sixième point, on vérifie ce que l’on fait. Est-ce que le comportement qui me pose soucis diminue ou augmente ? Est-ce qu’on est en train de déraper sur une pente glissante ou ça va ? En fonction de ce que j’observe, je vais venir modifier certains points voire la totalité de mon programme. Ce petit point va me permettre de vérifier ce que je fais pour pouvoir évoluer.
A présent, j’aimerais vous montrer un exemple de programme (très résumé) fait pour une situation grave. Je vais vous demander un truc compliqué c’est de ne pas le recopier ou de ne pas le réutiliser sans l’avoir totalement personnalisé (et avoir bien réfléchi à chaque point !). Là c’est un programme pour une situation de morsures dans un cadre particulier, donc c’est une situation qui devrait être suivi par un professionnel du comportement. On ne bidouille pas à la maison pour ce genre de souci.
1- Lors du bilan il a été identifié que le soucis (morsures) est lié à un besoin de sécurité (ne pas être surpris) et potentiellement un souci de santé (à vérifier dès que ce sera possible) et que cela peut être aggravé par des besoins d’explorations et de dépenses (physiques et mentales).
Pour répondre au besoin de sécurité -> le prévenir avant d’agir, banalisation de certains gestes, mise en place de test de consentement pour un maximum de points, mise en place d’activité apaisante (écoute de musique, lecture, activité liée à l’odorat, …) …
Pour répondre au besoin exploratoire, dépenses physiques et mentales -> intégration d’objets de l’extérieur pour faire de l’exploration sur place, activités liées à l’odorat, balades variées…
2- Nous savons (grâce au bilan) que le risque est accru avec les personnes inconnues mais également autour de la gamelle et dans tous les moments où il peut être surpris. Nous allons donc anticiper et essayer de supprimer ces points.
Inconnu -> n’ont pas le droit de l’approcher, si besoin sont présentés et briefés
Gamelle -> est posée / prise hors de sa présence si possible ou troquer après l’avoir prévenu et éloigné
Surprise -> on le prévient avant d’agir, on fait attention à nos gestes, on ajoute les tests de consentements
3- Plusieurs points et apprentissages peuvent aider l’humain à gérer la situation ici. Il peut s’agir de lui demander de se déplacer pour l’éloigner (et éviter de le surprendre), lui apprendre la politesse autour des portes, … Accepter de l’isoler (derrière une barrière) pour se rassurer et faire néanmoins des activités avec lui sans être stressé. Lui apprendre à enfiler la muselière. Accepter de demander à une autre personne en qui il a confiance de le gérer si on est fatigué, énervé, … ou simplement pas assez patient. On peut y voir tout un tas de pré-requis qui vont permettre à l’humain de demander des choses et d’avoir des possibilités de gestion.
4- Nous allons encourager les comportements amicaux mais également les comportements de fuite (qui sont à privilégier à la place des comportements d’agressions). Nous allons encourager le fait qu’il s’exprime.
5- Si jamais on observe une situation à risque (ce que l’on cherche à éviter), le prévenir, demander à chacun de s’immobiliser puis de s’éloigner.
Si jamais il se montre menaçant : sortir de la pièce lentement, si besoin, faire la technique de la statue (aussi appelée du poireau), ne pas crier, ne pas le repousser. Fermer la porte pour s’isoler de lui ou l’isoler des autres.
En cas de morsures puisque le bilan montre qu’il lâche facilement et ne cherche pas à réattaquer, s’éloigner dès que possible tranquillement. Signaler la morsure et se faire soigner…
6- Effectuer des observations de son émotion, compter les situations à risque / jour, observer les seuils de déclenchement, …
Je vous ai mis ce programme vraiment pour l’exemple et parce que si je mets un truc tout basique, vous serez trop tenté de le recopier mot pour mot en oubliant le plus important : ce programme est fait pour un chien précis qui n’est pas le vôtre. Alors est-ce que l’on pourrait faire des programmes types ? Dans les très grandes lignes peut-être, après tout, on va souvent recommander les activités apaisantes, les tests de consentements sont également très intéressants dans des situations variées … mais il y a toujours un risque d’effets pervers. Regardez, si je reprends mon programme et que ce chien est finalement Anastasia, le dernier point va compliquer son état émotionnel et empirer la situation !
Au bout du compte, il n’y a pas vraiment de raccourci. On peut tomber dans le piège de la routine et de la paresse intellectuelle et resservir la même chose, encore et encore, mais si on oublie l’individu… l’individu finit par nous rattraper. C’est pour cela qu’il est important de créer des programmes de A à Z et d’être prêt à les modifier au fur et à mesure. (Petite note : le chien qui correspond à ce programme existe et cet article a été écrit puis relu quelques semaines plus tard, entre temps le programme a été modifié sur plusieurs points. Par exemple : les tests de consentements sont difficiles à mettre en place avec lui et nous devons travailler davantage sur ses motivations. Et ces modifications ne sont pas les dernières : le programme évolue toujours avec le temps !).
Enfin, ce type de programme essaie de prendre la situation dans son ensemble en prenant en compte l’environnement, les humains et le chien. Supprimer un point pourrait bien s’avérer très problématique car c’est l’ensemble du programme qui nous pousse vers le résultat souhaité. Ce n’est sont pas pleins de propositions qui n’ont aucun lien les unes avec les autres, mais bel et bien du travail d’équipe. Ce n’est donc pas que l’individu qu’il faut remettre au cœur de notre propos, mais également cette prise en compte globale et l’importance d’avancer sur plusieurs fronts en même temps car tout est lié.
Bonne réflexion pour faire la création de vos propres programmes, même si vous ne le faites que pour des points "basiques" comme les
mordillements des chiots ou apprendre à
rentrer à la maison depuis le jardin ! Et n'oubliez pas de faire appel à un professionnel pour les problématiques moins évidentes, il pourra vous composer un programme sur-mesure.