Le concept des patrons-moteurs est intéressant mais je n’ai pas choisi de le fouiller particulièrement parce que cela n’avait qu’une seule application pratique à ma connaissance : comprendre comment sont reliés certains comportements et donc pouvoir observer plus largement des comportements. Par exemple si un chien s’arrête et fixe, je suis peut-être dans le simple domaine de la curiosité, mais s’il se met à poursuivre, je ne suis pas surprise : cela rentre dans le comportement général de la chasse. De la même manière s’il saisit, effectue des gestes pour assommer ou tuer, cela fait parti de cette forme de suite logique. Et ça permet d’expliquer pourquoi un chiot bondit sur sa peluche, l’attrape et la secoue dans tous les sens. Oui, il joue. Il joue à un simulacre de chasse. C’est rigolo et totalement anecdotique.
Bon, cela permet aussi d’observer des sélections génétiques. Par exemple si nous restons dans le domaine de la chasse qui est celui dont on parle le plus pour décrire une suite de comportement, il existe de nombreuses races de chiens de chasse. Oui, seulement voilà ils ne chassent pas tous de la même manière. Certains vont être spécialisés dans les premiers comportements de notre grande chaîne qui forme « la chasse » et vont s’arrêter en plein milieu. Ils traquent et « lèvent » le gibier. Ils ne le poursuivent pas, ils ne l’attrapent pas, ils ne le tuent pas, ils ne le consomment pas. D’autres vont être spécialisés dans une autre partie de cette chaîne. Et dans tous les cas, l’humain essaie de limiter l’envie de manger la proie parce que ça ne l’arrange pas…
Et les chaines de comportements ont une particularité intéressante c’est que le comportement suivant peut être la récompense du comportement précédent. Autrement dit, ça vaut le coup pour le chien de chercher une proie parce que s’il la trouve alors il peut poursuivre cette proie, et ça vaut le coup de poursuivre parce que s’il poursuit alors il peut attraper. Les chaines construites artificiellement comme « regarde-moi », « revient vers moi » et « met ton harnais contre ma main » pour « avoir une récompense » (ce qui peut être une chaîne formant le comportement du « rappel ») fonctionnent pareil.
Bon. Fin de l’histoire ? Et peut-être que les chaînes de comportement sont plus intéressantes à étudier parce qu’on y trouve beaucoup plus d’application pratique ? Pour ma part oui, en dehors du groupe un peu fermé des passionnées de races diverses et variées et de génétique qui peuvent s’éclater à chercher une même chaîne dans différentes races pour voir les modifications potentielles… c’est sans aucune forme d’intérêt. Bon ok, je fais parti de ce groupe-là, j’ai des lubies étranges, mais pour le reste de l’humanité ? On s’en fout.
Seulement, on vous parle de plus en plus de patrons-moteurs. Je pense que c’est pour de très mauvaises raisons et que derrière il y a un mensonge grossier. On essaie de faire croire qu’il y a des raccourcis dans l’analyse comportemental des chiens : seulement, il n’y en a pas. On essaie de faire croire qu’il y a des raccourcis dans le choix de l’individu chien que l’on va adopter : mais il n’y en a pas non plus. Ces mensonges reposent, je pense, sur une grosse incompréhension de ce qu’est une sélection et de la génétique en général (voire même de ce que sont les races). Et vu la tournure que ça prend, j’ai préféré arrêter de parler des patrons-moteurs que ce soit en clientèle ou dans des discussions variées sur le comportement parce que ce qui était une précision un peu inutile devient autre chose qui me déplaît.
Et je déteste ce genre d’impression : l’impression d’un mensonge pour des utilisations erronées, je me dis que c’est sans doute faux, que c’est moi qui ait mal compris et le concept de patrons-moteurs c’est loin d’être une évidence donc j’ai simplement du passer à côté de quelque chose. D’ailleurs, quelle est la définition de « patrons-moteurs » exactement ? Je vous laisse essayer de répondre à cette question et vous allez voir que c’est peut-être moins facile qu’il n’y parait. Et oui, de mon côté quand je doute, je reprends les choses depuis la base.
En tapant « patron-moteur définition », la première qui tombe est celle de
Cynopsis , un site qui parle de chiens. Et ça dit :
« Patron moteur
Chaque comportement peut être divisé en une série de composants organisés ayant une fonction particulière; ces unités sont appelées "patrons-moteurs". Par exemple, le comportement alimentaire des chiens comprend plusieurs patrons-moteurs dont l'un consiste en le fait de poursuivre. »
Donc un patron-moteur c’est un comportement précis que l’on divise pour observer différents moments. Un comportement contient donc des patrons-moteurs. Ici on parle du comportement alimentaire mais plus précisément de la chasse, car dans le comportement alimentaire on peut trouver aussi manger des baies qui ne se caractérise absolument pas par de la poursuite. Mais oui, le comportement « manger des baies » est divisible et chaque petit élément à bien une fonction c’est-à-dire un but.
Tiens la fonction du comportement ça c’est un sujet passionnant, super chouette avec une tonne d’applications pratiques en prime. Ouais, mais c’est pas le sujet hein ? Passons.
Je compile d’autres sites et je remarque que très vite la définition s’étaye de l’idée que le patron-moteur est totalement génétique, qu’il est permanent et qu’on ne peut que s’y plier. Autrement dit si le chien « Rex » possède le patron-moteur de chasse allant jusqu’à tuer et consommer sa proie, il faut qu’il l’exprime. Sinon ? Alors on me parle soit de problèmes de comportements, soit du fait qu’on ne peut pas l’empêcher.
Le truc c’est qu’un comportement dépends du milieu et des possibilités de l’individu. Imaginons que Rex naisse avec dans ses gènes le comportement poursuivre à vue, attraper et mettre à mort puis consommer. Ok, pas de soucis. Seulement Rex est aveugle. Son environnement n’offre aucune forme de stimulation visuelle pouvant déclencher le comportement « poursuivre à vue ». Bon, ben, nous déjà on ne peut pas savoir qu’il a ce comportement puisqu’il ne se déclenche pas et on a pas une cartographie de ses gènes pour savoir que Rex possède ça en stock. Et Rex, bah il va faire avec… Il ne va pas exploser. Seulement s’il ne poursuit pas à vue, il ne risque pas d’attraper et mettre à mort une proie. Il va peut-être reporter ce comportement sur des jouets, exprimant une envie et ça ne prendra pas forcément plus de place que ça. Quant à consommer sa proie, les peluches c’est pas très digeste et surtout, les peluches ça ne répond pas à la fonction du comportement : se nourrir. Il pourrait néanmoins l’exprimer si on lui donne des proies entières dans un régime alimentaire spécifique.
J’ai tout à fait conscience qu’on va me dire que c’est ultra particulier comme exemple, mais je cherche juste à vous montrer un fait important. L’environnement conditionne le comportement. Si dans l’environnement de Rex je retire les proies entières, puisque c’est moi qui décide de leur présence ou pas, alors je viens toucher à ce comportement. Si Rex n’est plus aveugle mais que je le garde en longe alors son comportement poursuivre va être très limité et ne lui permettra pas d’atteindre le comportement « attraper ». Si je le balade uniquement en ville, loin des chevreuils, il y aura encore moins de facteurs de déclenchements. Le seul truc à avoir en tête c’est qu’un chien qui a envie de faire un truc, il peut trouver des dérivatifs et ces dérivatifs peuvent être plaisant pour l’humain (et alors tout va bien) ou pas (et alors on parle de « problèmes de comportements »). Ici, Rex pourrait être tenté de poursuivre les vélos, mais c’est un « pourrait ». Ce ne serait pas surprenant en soit puisque l’on sait qu’il a un goût certain pour la poursuite à vue, donc la poursuite de truc en mouvement, mais ça n’arrivera pas à coup sûr.
Si je résume… Les chaînes de comportements c’est passionnant. La fonction d’un comportement c’est super important et ultra complexe comme sujet ! L’environnement qui conditionne le comportement c’est aussi un truc topissime pour comprendre le comportement et pour faire des modifications ! Oh et les patrons-moteurs ? Bah… C’est toujours pas très intéressants. Enfin, là, j’ai parlé du comportement de chasse, alors c’est facile de placer le terme, m’enfin, ça ne change rien au bout du compte.
Mais je suis peut-être passé à côté de quelque chose (toujours). Pour l’instant, je ne tombe que sur des sites qui parlent de chiens. Ok, mais un truc qui parait aussi fondamental chez autant de gens, on doit en parler pour toutes les espèces. Enfin vous imaginez les patrons-moteurs chez l’humain et les études qu’on pourrait faire sur les variations génétiques de ces comportements ? Je pense immédiatement au comportement alimentaire : est-ce que les variations d’alimentations sur le globe sont issus d’une variation de l’environnement ou d’une variation génétique ? Autrement dit, je crois savoir que les inuits sont très orientés vers la viande vue que leurs environnements n’offrent pas de grandes végétations… mais est-ce que c’est génétique également ? Est-ce qu’on a des exemples d’une évolution génétique ? Ça peut paraître bête, mais chez les chiens, la sélection va amener à traquer de manière préférentielle certaines proies. Par exemple si le chien est sélectionné pour réagir au mouvement en se mettant à pourchasser, c’est pas idéal pour traquer des bestioles qui vont être planqués. Si au contraire, il a tout le temps le nez au sol et qu’il creuse, bon courage pour attraper un oiseau.
Et vu que la génétique ça fonctionne pareil chez les différentes espèces (par exemple il y a des gènes récessifs chez le rat, chez le chien et chez l’humain) et qu’on m’explique que le patron-moteur c’est génétique, ça va être facile de trouver ça chez d’autres espèces et peut-être que je vais mieux comprendre. Donc je tape « patron moteur -chien » pour supprimer les liens parlant de chiens ce qui me laisse l’humain mais aussi toutes les autres espèces du monde animal dont des espèces ayant subies de fortes sélections de la part de leur environnement ou de l’humain.
Et là c’est la douche froide. Déjà il n’y a que des articles sur l’humain dans les premiers résultats et on n’est visiblement pas du tout sur la même définition. On semble parler de développement moteur, c’est-à-dire de comment l’humain apprend à bouger. Et ici on ne parle pas juste d’un truc génétique, mais d’apprentissages et de maturations du système nerveux. Je tombe sur des articles liés au sport puisqu’on est dans de l’apprentissage du mouvement et d’autres liés à l’écriture. Sur un
powerpoint je trouve cette définition :
« Le patron moteur : séquence de mouvement mémorisée, spécifique à un allographe donné (Ellis 1988;1993). »
Je cherche un peu plus spécifiquement dans l’éthologie, je vais dans le dictionnaire de l’éthologie de Klaus Immelmann et je trouve une petite mention de patron-moteur sous la définition de « coordination motrice héréditaire », on m’explique que les termes « coordination motrice fixée », « manifestation de caractère fixe », « patron-moteur hérité », « patron-moteur fixe », « stéréotype moteur », « sortie motrice unitaire » sont des synonymes. La définition explique que c’est un vieux concept désignant des séquences « constantes dans leurs formes » de mouvements qui peuvent être exécutés pour eux-mêmes (avec pour exemple de nombreux mouvements de toilettages) ou des petites unités identifiables au sein de patrons comportementaux plus complexes (avec pour exemple une parade nuptiale). Si chez le chien on parle beaucoup de chasse, chez les oiseaux notamment la parade nuptiale est sans doute l’exemple le plus criard de chaîne de comportement complexe. Puis on précise que ces mouvements sont déclenchés et influencés en matière d’intensité et d’orientations par des stimuli externes (ce que moi j’ai appelé « environnement » plus haut) mais que leur schéma d’exécution échappe dans une large mesure à l’influence de ces stimuli. Autrement dit : il faut un chevreuil qui bouge (environnement) pour déclencher la poursuite, mais comment le chien poursuit (s’il fixe, renifle, comment il court, comment il gère la perte de la proie, …) ne dépends pas de ce que fera le chevreuil. Et chez les oiseaux je suppose qu’il faut la présence d’un congénère ou peut-être d’un chant ou d’un autre truc dans l’environnement pour déclencher la parade nuptiale. Puis la définition explique que ce « détail » et le fait que le comportement soit propre à chaque espèce indique une « programmation héréditaire ». Donc on parle de génétique. Et le petit paragraphe arrive à sa conclusion : « Toutefois, comme dans bien des cas le degré d’indépendance vis-à-vis des facteurs environnementaux est moins élevé qu’on le supposait au départ, on tend de plus en plus à remplacer depuis quelque temps l’appellation « coordination motrice héréditaire » par l’expression -> « structure modale d’action ». » et cela se base sur les travaux de STORCK (1949) ; LORENZ (1961), EIBL-EIBESFELDT (1963) ; KONISHI (1966) ; SCHLEIDT (1974) ; CASSIDY (1979). On est sur un vieux dictionnaire et visiblement la « structure modale d’action » n’a pas connu une grande popularité car je trouve très peu d’explications autour.
Bon, il est peut-être temps de conclure ma recherche ? Ah non,
une grosse étude sort sur les comportements dans les races. Et ils parlent un petit peu de patron moteur, ils en citent plusieurs dont certains me surprennent vraiment comme « le hurlement » et effectivement, cela fait parti des comportements où la part génétique semble être la plus forte avec quelques races qui le font assez souvent, d’autres assez rarement et une majorité qui semblent neutre quelque part là au milieu. Néanmoins, on perd la notion de chaîne que l’on avait au départ… et la notation en question ne m’apporte toujours rien de plus en soit.
Allez ! Concluons. Il y a des tas de concepts passionnants et sous-estimés (à mon sens) en matière de comment observer ou étudier le comportement des animaux. J’ai essayé d’en citer quelques uns et il y en a d’autres qui seraient citables comme les associations positives et négatives qui vont mettre en avant les émotions du chien et qui permettent de comprendre énormément de choses notamment en matière d’éducations, de rééducations ou de modifications comportementales. Je pourrais en citer encore pleins d’autres qui sont autant de pistes de meilleures compréhensions. Pour les patrons-moteurs, je reste avec le sentiment que ça a très peu d’applications pratiques et que ça accompagne ce que j’ai appelé des mensonges, qui sont sans doute fait en toute bonne foi, mais qui sont à mon sens, très problématiques.
Cet article sera donc le long préambule de plusieurs autres articles pour détailler ces points qui me paraissent important :
J’espère que ce sera pertinent, intéressant et que cela ouvrira peut-être des pistes de réflexions.