Aujourd’hui, j’aimerais vous parler de cette notion un peu bizarre de prérequis que l’on pourrait résumer brièvement ainsi : « on ne met pas la charrue avant les bœufs ». En éducation canine ou en rééducation nous avons souvent le tort de sauter des étapes sans vérifier les prérequis.
Prenons un premier exemple simple. Nous voulons apprendre « assis » à un chien. Comment faire ? Nous pourrions le lui apprendre
au leurre. Nous pourrions le lui apprendre
à la capture avec ou sans clicker. Nous pourrions lui apprendre à travers le mimétisme, qu’il soit humain ou canin. Nous avons des tas de choix possibles.
Simplement : est-ce que ce chien est physiquement capable de s’asseoir ? Est-ce que ce chien est capable d’apprentissage ? Est-ce que ce chien est capable d’apprendre avec nous ? Est-ce que ce chien est dans un état mental qui permet cet apprentissage en ce moment et en ce lieu ? Qu’est-ce qui motive ce chien ? Est-ce que ce chien est capable d’approcher ses congénères ? Est-ce que ce chien connait le clicker ?
Pour trois méthodes citées, nous pourrions soulever des dizaines de prérequis. Pas mal d’entre eux peuvent nous sembler si évident qu’on ne se demande plus si le chien en est là ou pas … Et pourtant, quand l’apprentissage ne réussit pas, c’est souvent parce que l’un de ces prérequis (ceux que j’ai cité ou d’autres) n’est pas présent.
Dans le cadre de l’apprentissage d’un « assis », en éducation positive, ce n’est pas forcément très grave. Le pire qui puisse arriver est souvent que l’apprentissage ne se fasse pas. Dans le cadre d’une rééducation ou d’un travail sur un problème comportemental, cela va être beaucoup plus délicat et la compréhension des prérequis devient très importante voire capitale.
Prenons un exemple relativement basique mais moins évident quand même. Votre chien vous saute dessus pour attirer votre attention. Le conseil basique est celui-ci : tournez-lui le dos, ignorez-le et occupez vous de lui dès qu’il se calme et propose un comportement acceptable. C’est une bonne méthode mais elle contient un « non-dit ». Quand vous allez ignorez le chien, il va exprimer de la frustration et insister. A ce moment-là, son comportement s’aggrave puis dans un second temps, le chien cherche une autre solution, c’est ce que nous récompenserons dès qu’il en trouvera une bonne.
Maintenant parlons des prérequis. Pour que cette méthode soit intéressante et non maltraitante, il faut que les besoins minimums du chien soient remplis. Autrement dit qu’il ne souffre pas d’un manque de contact trop important, sinon, sa frustration risque de devenir particulièrement difficile à gérer. C’est un prérequis. Un autre prérequis est que l’humain soit capable de gérer cette montée de frustration. Un autre encore serait que le chien n’ait pas appris à insister trop lourdement, sinon lors de la montée en frustration, la situation pourrait devenir dangereuse. Nous allons nous arrêter là, mais en soi, il en existe d’autres.
Imaginons deux situations. La première concerne un jeune chiot, c’est la première fois qu’il essaie de sauter pour attirer l’attention, son comportement n’est donc pas une habitude. Il est chouchouté dès qu’il le demande. Il saute pour la première fois, l’humain se détourne et l’ignore. Le chiot se laisse retomber au sol, l’humain se retourne et le félicite. Tout va bien. Ça se passe très bien. La montée en frustration est passée presque inaperçue, d’autant plus que le comportement a une motivation faible (attirer l’attention n’est pas capital pour ce chiot à ce moment-là). Ici cette méthode est donc recommandable.
La seconde situation est un chien qui a vécu en maison durant des années, puis qui a été mis en refuge, lieu où il a souffert d’un manque de contact (à son goût). Il a appris à sauter et à insister lourdement en pinçant. L’humain peut être un soigneur du refuge ou son adoptant peu importe, tout ce qui compte c’est qu’il essaye d’éduquer ce chien pour qu’il cesse. Le chien saute pour réclamer de l’attention, l’humain se détourne et l’ignore. Et là, le chien s’excite, il monte en frustration, il y met les dents, il pince, l’humain continue à l’ignorer, le chien pince plus fort, il finit par se calmer et se laisse retomber au sol. L’humain a donc réussi à gérer la montée de frustration, ce qui n’est pas donner à tout le monde ! L’humain se retourne pour féliciter le chien d’être au sol et là, le chien ressaute sur l’humain. L’humain se détourne pour l’ignorer, le chien remonte en excitation, etc, etc. Au final, l’humain abandonne, il présente des bleus voire des vêtements déchirés. Le chien lui a juste appris à prendre les contacts avec un peu plus de force encore.
Quel est le problème ? Ce second chien n’a pas le minimum de prérequis pour supporter cette méthode. A ce moment-là, il réagit très mal. D’autres méthodes auraient été plus appropriées. Ces autres choix peuvent être vraiment très différents de notre méthode de base, voire même contradictoires. Il peut s’agir d’accepter que le chien saute et de s’en occuper jusqu’à combler suffisamment ses besoins pour faire apparaître des comportements calmes que nous récompenserons, SI ce chien est capable de recevoir une récompense. Parce qu’une récompense peut faire monter ce chien dans des états d’excitations rares … et alors, nous allons devoir anticiper et préparer les choses encore différemment. Nous allons peut-être choisir comme récompense le simple fait de regarder le chien si vraiment c’est quelque chose qu’il désire et qui ne le met pas dans un état impossible à canaliser. Sinon, nous allons encore travailler un autre prérequis.
Comprendre cette notion de prérequis est très important pour éviter de mettre le chien dans une situation impossible. Beaucoup de conseils visant à travailler les auto-contrôles, le calme, la gestion des émotions peuvent être très problématiques si nous ne prenons pas tout ça en compte. L’exercice peut être à la fois génial et très mauvais à conseiller.
Un exercice que j’apprécie est donc d’essayer de remonter le fil des prérequis. J’aimerais faire de l’agility, pour faire de l’agility il faut passer les agrès et respecter les zones. Ok, je pourrais apprendre ça mais que faut-il avoir avant ? Et bien, il faut que le chien suive le parcours que l’on désire, donc qu’il nous suive. Ok, mais que faut-il avant ? Il faut que le chien ait envie de rester avec nous alors qu’il est sur un parcours. Ok, mais que faut-il avant ? Il faut que le chien ait envie de rester avec nous dans des milieux variés. Ok, mais que faut-il avant ? Il faut une bonne relation avec son chien … Nous pourrions sans doute encore remonter et surtout, en fonction de ce que l’on désire, il y aura des prérequis différents. Si je désire « faire de l’agility », c’est différent de si je désire « faire de la compétition en agility », c’est encore différent de si je désire « avoir un chien « froid dans sa tête » pendant les parcours d’agility » ou encore « avoir un chien « froid dans sa tête » et très autonome pendant les parcours d’agility », etc. Il faut vraiment comprendre la finalité réelle que l’on désire. Donc si demain je décide de débuter l’agility, je ne vais pas commencer par apprendre à ma chienne à faire une zone ou à gérer la bascule. Je vais déjà voir si elle a envie d’être avec moi, pendant que je cours, et de faire des trucs ensemble. Je vais observer et mettre en place les prérequis qui me semblent importants.
On peut voir ces prérequis comme des travaux préparatoires, mais ils peuvent aussi faire totalement variés la manière dont on aborde une problématique. Alors je vous souhaite de bonnes observations et j’espère que vous vous amuserez autant que moi à remonter le fil des prérequis jusqu’à comprendre que pour tel apprentissage le chien a besoin d’entendre, de voir, d’avoir un cerveau, d’avoir envie, …