Nous avons tendance à réfléchir de travers quand il s’agit de comportement. Nos questions sont souvent particulièrement mal orientées car elles se basent sur des aprioris. Et ça, ça nous amène à plein de soucis. Dans cet article nous allons voir une possibilité de méthode pour éviter de se mettre en échec lorsque l’on cherche à définir la cause d’un comportement.
Prenons un exemple, si un chien fugue, que l’on demande la race et que la réponse est « c’est un husky » : nous n’avons rien appris de concret. Par contre, on vient d’ouvrir la porte d’un énorme piège, on peut se dire « les huskys, ça fugue. Ce husky fugue, il est juste normal ». C’est un piège pour plein de raisons différentes mais la principale est peut-être que nous ne pourrons jamais proposer de solutions. Ce husky restera un husky toute sa vie. Si la fugue fait partie de son code génétique : nous ne pouvons rien y faire. Si c’était vraiment le cas, ce serait beaucoup moins gênant. Ce serait comme ça et puis c’est tout, sauf que dans la réalité, les choses sont un peu plus complexes que : une race = un comportement. Du coup, on risque de dire à la personne « il n’y a rien à faire à part tout cadenasser » … alors que c’est faux dans la très grande majorité des cas !
Je ne sais pas si vous connaissez ce jeu "trouve le chiffre entre 1 et 1000", mais je pense qu’il peut être très inspirant pour nos questions sur le comportement. Dans ce jeu, nous savons juste que notre cible est comprise entre 1 et 1000. Ce n’est pas 12349 et ce n’est pas non plus -2. Ce terrain de jeu, en l’adaptant à notre recherche, nous pourrions le traduire ainsi : « trouve parmi les causes (existantes) de comportements chez le chien ».
Malheureusement, si nous savons à priori tous compter de 1 à 1000, nous ne connaissons pas forcément toutes les causes des comportements canins, mais en réalité, ce n’est pas forcément un problème. Nous pourrions réduire toutes ces causes aux différents besoins que peut éprouver un chien (boire, manger, dormir, être en sécurité, trouver un partenaire sexuel et copuler, avoir du confort, utiliser son cerveau, se dépenser physiquement, explorer de nouveaux horizons, rencontrer des individus, …). Notons que notre terrain de jeu est défini et délimité, du coup, la cause du comportement d’un chien ne sera pas : « Un ver extraterrestre de la planète Derdemeletium a envahi son cerveau » ou « Il désire devenir le roi du monde ». Ça nous laisse quelques pièges (par exemple j'ai écarté toutes les causes liées à la santé), mais je pense que ça permet déjà de bien dégrossir notre terrain.
A présent, si je demande « quelle est la race ? », cette question ne vise concrètement qu’une seule et unique chose : définir s’il s’agit d’une race réputée pour fuguer ou pas. Dans mon jeu des chiffres, c’est un peu comme si je demandais : « C’est 33 ? ». Oui, c’est 33, on a la réponse, on s’arrête là. Non, ce n’est pas 33, et nous venons de supprimer un seul et unique chiffre.
Si vous faites plusieurs parties, vous allez vite vous apercevoir que proposer directement un chiffre, c’est plutôt une mauvaise idée. Après tout : il y a 1000 possibilités ! Et en matière de comportement, ce chiffre serait sans doute beaucoup beaucoup beaucoup plus grand, car les causes s’ajoutent les unes aux autres. Par exemple, il y a une cause « habitude ». Le chien qui a l’habitude de fuguer, même si toutes les autres raisons de ses fugues ont disparu. Il a l’habitude de faire comme ça, du coup, il continue. En supprimant simplement l’habitude (en lui faisant faire autre chose chaque jour, en partant en vacances avec le chien, en déménageant, …), le comportement disparaît. Du coup, notre panel de recherche, il est vraiment vaste et il est multiple.
Une bonne manière de jouer au jeu des chiffres est de supprimer des morceaux de terrain. Par exemple : Est-ce que c’est un chiffre entre 500 et 1000 ? Que la réponse soit « oui » ou « non », nous en apprenons énormément. Nous pourrions aussi demander, est-ce que c’est un nombre qui est composé de 2 chiffres ? Si oui, nous cherchons entre 10 et 99. Sinon, nous cherchons entre 1 et 9, et entre 100 et 1000. En répétant l’opération plusieurs fois, nous dégrossissons le terrain. Tout ça pour dire qu’il n’y a pas qu’une seule stratégie. Je pourrais demander : mon chiffre comporte-t-il au moins un 0 ? Peu importe notre stratégie, l’important va être de supprimer un lot de possibilités pour ne pas tester les 1000 solutions possibles.
Rapportons ça au comportement. Ça va être un peu plus délicat en une question, mais nous allons quand même dégrossir le terrain autant que possible. Par exemple : est-ce que tu sais où va ton chien ?
- Il va dans le poulailler de la voisine (cause : chasse, envie de manger, envie de jouer, ennui, manque de dépense physique, habitude …)
- Il va voir la chienne de la ferme du coin (cause : envie de copuler, envie de contact sociaux, habitude …)
- Il va dans un jardin où il y a deux autres chiens (cause : envie de copuler, envie de contact sociaux, habitude …)
- Il va un peu de partout, ce n’est jamais le même trajet (cause : envie d’explorer, envie de se dépenser, …)
- C’est toujours le même circuit, on dirait une petite balade routinière (cause : envie de se dépenser, habitude, …)
- …
Si non, est-ce que ce serait possible de le savoir ? Par exemple à travers l’endroit où le chien est retrouvé ou avec un équipement de type GPS. Ça permet d’obtenir un « oui », à la question précédente. Si c’est impossible, ce n’est pas dramatique : on change de piste !
Imaginons qu’il aille voir la chienne de la ferme du coin, on pourrait vérifier s’il fugue toute l’année, ce qui pousse à penser aux contacts sociaux par exemple ou si c’est par période et là, on va soupçonner l’envie de copuler. Si c’est le cas, nous avons beaucoup réduit le champ des possibles, c’est une super piste. Mais peut-être que cette première question ne donnera rien ou pas grand-chose. Peut-être qu’il va dans le poulailler de temps à autres, peut-être qu’il va voir des copains une fois sur deux et le reste du temps, il vadrouille en forêt … Peut-être. Néanmoins, si le chien ne va jamais chasser, la piste « se nourrir » se réduit, s’il ne va jamais voir d’autres chiens, la piste « contact sociaux » et « copuler » se réduit, etc, etc.
Imaginons une autre question avec cette même idée en tête, elle doit fermer plusieurs pistes ou plutôt, nous orienter vers un nombre restreint de pistes. Est-ce que ton chien fugue en permanence, même quand vous partez en vacances ensembles ou qu’il est gardé par quelqu’un d’autre ? Ou, encore plus précisément, si ton chien fait une semaine de randonnée ou le truc le plus sportif que vous ayez fait ensemble, il fugue toujours ?
Si la réponse est « oui », d’ailleurs on a randonné pendant une semaine, il s’est barré une nuit et a gâché la fin des vacances. Si ce chien fugue peu importe l’environnement et le rythme, ça nous ferme un certain nombre de pistes. Par exemple : ce n’est sans doute ni de l’ennui, ni un besoin d’exploration (car en une semaine de randonnée, on voit du paysage), ni un besoin de dépense physique (parce qu’une semaine de randonnée, ce n’est pas rien), … Et là, on pourrait retourner sur l’autre question (où est-il allé ?) et le combo des deux pourraient nous donner une piste très précise. Même épuisé, ce chien est parti à la poursuite d’une femelle en chaleur. Même épuisé, il n’a pas supporté la solitude sociale et est allé chercher des copains. Même épuisé, il a vu un chevreuil démarré sous son nez et il n’a pas pu s’empêcher de courir après … En posant des questions sur les circonstances exactes, on peut trouver des pistes très intéressantes.
Et si jamais, non, en vacances, ce chien ne fugue jamais ? Et bien alors, on peut s’intéresser aux pistes suivantes :
- Les besoins exploratoires (est-ce qu’il promène assez et dans des lieux assez variés le reste du temps ?)
- Les besoins de dépenses physiques (est-ce qu’il promène assez et a une activité sportive relativement conséquente ?)
- Les causes d’ennui (est-ce qu’il a de quoi s’occuper ? S’il fugue uniquement quand il est seul, combien de temps dure la solitude ?)
- Les causes de contact sociaux (est-ce qu’il a appris à rester seul ? Est-ce qu’il rencontre assez de copains habituellement ?)
- …
Il y a une autre question potentiellement très ouverte et qui permet de découvrir un grand nombre de piste. C’est : depuis quand fugue-t-il ?
- Depuis sa maturité physique (ça dirige vers des causes comme copuler mais également des causes de besoins de dépenses plus importants alors que le chien à gagner de l’endurance physique en grandissant par exemple)
- Depuis le décès de son copain chien (le besoin de contacts sociaux n’est peut-être plus rempli ou il s’ennuie ou …)
- Depuis que l’on a changé de travail (changement de rythme ! Il y a un risque que les dépenses soient moins bien remplies, un comparatif pour voir les changements est alors intéressants)
- Depuis qu’il a compris comment sortir du jardin (ce qui équivaut à un « depuis toujours », ça ne nous apprend rien comme ça, si ce n’est que si pour sortir, le chien a dû déployer beaucoup d’efforts c’est que la motivation derrière son acte (la cause) est très importante).
- …
Et vous voyez, à travers ces questions ouvertes, nous pouvons en apprendre beaucoup sur ce chien. Nous pouvons apprendre des choses que l’humain n’aurait pas pensé à dire. Il ne faut pas hésiter à comparer les situations où tout se passe bien (s’il y en a) aux autres situations pour tenter de trouver les petits déclencheurs qui passent inaperçus. Six mois avant, tout allait bien, maintenant c’est la catastrophe, entre temps un bébé est arrivé, deux personnes se sont séparées, un déménagement, une chienne a emménagé dans le quartier, les voisins font des travaux … Les causes sont multiples ! Mais pour trouver la bonne solution, il faut d’abord ratisser large puis, tranquillement se rapprocher de notre cible … et pas l’inverse.
Oh et quand même, puisque nous avons commencé avec le husky. Reprenons-le. Imaginons que ce husky fugue depuis 1 an maintenant. Il a 4 ans. Il ne fuguait pas avant. Il ne fugue pas quand on l’emmène à la montagne, chose que l’on fait régulièrement avec des copains et leurs chiens. Là, il peut même être en liberté, il a un super rappel (on a beaucoup bossé pour, c’est le premier apprentissage que l’on a fait !). Aucun problème avec lui, à part à la maison. Si on compare la situation il y a 1 et demi et maintenant, ben, son copain chien est mort de vieillesse. On fait davantage de balade pour compenser, mais ça n’y change rien. Où il va quand il fugue ? Il fait le tour du village et jusqu’à une ferme où il s’est fait un autre copain chien. On le sait bien, maintenant on va le chercher directement là-bas. Oui, ce chien est toujours un husky. La situation n’a pas changé entre mon exemple en début d’article et maintenant. Seulement, nous en avons appris plus. C’est exactement à ça que les questions doivent nous servir. Cet exemple est tellement caricatural et grossier, que ça devrait sembler évident : ce chien a besoin de davantage de contacts sociaux avec d’autres chiens. Maintenant que nous avons la cause, on peut réagir en conséquence et l’emmener en balade collective par exemple, ce qui devrait améliorer son comportement.
Tout ça pour dire : soyez malin et n’oubliez pas de poser des questions avant de sauter aux conclusions. Même si vous êtes très sûrs de vous, posez des questions pour vérifier, parfois, on a des surprises.