Quand nous observons le comportement canin, nous le faisons à partir de lunettes qui nous sont propres. Ces lunettes sont composées de nos connaissances, de nos croyances, de nos expériences, de nos avis, … et elles déforment un peu le monde que nous observons. Malheureusement, il est impossible d’enlever les lunettes, on peut seulement les améliorer en modifiant nos connaissances. Une chose que j’apprécie de faire, c’est d’essayer d’enfiler les lunettes du voisin. Imaginons que j’enfile les lunettes de la hiérarchie avec un chef de meute qui décide et les autres qui plient. Que puis-je voir alors ? Tout ce que je verrais aura été un peu déformé par ce prisme, mais ce sera néanmoins intéressant de réfléchir à ces observations.
Il y a une chose qui m’a beaucoup perturbé en enfilant ces lunettes-là, c’est qu’elle présuppose de voir le monde à travers le prisme de la compétition et de l’affrontement. Il faut des gagnants et des perdants. Celui qui recule, qui cède, qui lâche l’affaire, qui préfère rester loin des individus les plus pénibles est vu comme un perdant, alors que si on prend le temps d’y réfléchir, on pourrait également le voir autrement. En lâchant l’affaire, il se protège ce qui est finalement plutôt malin par exemple. Si on observait la même situation avec une réflexion sur l’intelligence et la malice, on changerait sans doute de point de vue sur l’évolution de ce groupe.
Mais entre toutes les possibilités, il y en a une qui m’a énormément séduite. Un prisme qui ne sert qu’à observer l’évolution des groupes, qui s’intéresse autant aux groupes intra ou interspécifique, c’est-à-dire autant à un groupe composé uniquement de chiens qu’à un groupe composé d’humain et de chien. Ce prisme ce n’est pas quelque chose que j’ai lu, que j’ai appris, mais seulement une réflexion personnelle (que d’autres ont peut-être déjà eu) et que je vous propose. Il s’agit du prisme de l’amitié et de l’inimitié.
L’idée est toute simple, la relation d’un binôme, quel qu’il soit, pourrait être catalogué comme allant de très négative (inimitié profonde) à très positive (grand amitié) et, en fonction de cette donnée les individus ne vont pas se comporter de la même manière. Cela va modifier leurs approches, leurs compréhensions de l’autre, le temps qu’ils passent ensemble, les distances auxquelles ils se tiennent l’un de l’autre, la résolution de leurs conflits, leurs activités ensemble, etc. Notons que l’amitié peut être à sens unique. Ce n’est pas juste le résultat d’un binôme mais l’avis de chacun des membres qui le composent.
Et concrètement ça donne quoi ? Au plus la relation est mauvaise, au plus il y a des risques de morsures, d’auto-défenses mais également de mauvaises compréhensions et d’intolérance. Imaginez qu’une personne que vous n’aimez vraiment pas fasse un truc qui vous énerve. Disons que cette personne c’est la boulangère et qu’elle s’est trompée, en votre défaveur, en vous rendant la monnaie. C’est très énervant. La réaction sera proportionnelle à cet énervement. Imaginons maintenant la même situation, mais la boulangère c’est votre meilleure amie. Dans les deux cas, vous pouvez signaler l’erreur et réclamer votre monnaie. Dans le premier, cela risque de dégrader encore plus votre relation. Vous allez peut-être parler sèchement et partir en colère. Dans le second, vous allez peut-être faire une blague en signalant l’erreur et repartir un peu gêné, mais votre relation ne sera sans doute pas dégradée car la blague est justement là pour rapprocher le groupe. Un peu comme si on mettait d’office un pansement.
On tolère beaucoup plus d’erreur, de mauvais comportement, de problème … de la part d’un ami que d’une personne que l’on ne supporte pas. Chez les chiens, c’est pareil. Imaginons qu’un chien n’aime pas que l’on s’approche de son panier, il va le tolérer facilement avec ses meilleurs amis et il risque de réagir, peut-être très violemment, avec ceux qu’il n’aime vraiment pas. Le point cocasse, c’est que cela veut dire que dans les situations où nous devrions être très tolérants pour améliorer la relation nous avons tendance à être, au contraire, très intolérant aux erreurs.
Ce prisme n’aide pas seulement à comprendre des différences de réactions pour des situations qui semblent similaires, il permet aussi d’intégrer l’idée que la relation compte. Ainsi, si un chien est réactif envers un autre ou envers un humain, on peut décider de travailler dans cette configuration, à distance mais le fait que cet autre individu ne soit pas apprécié compte et parfois il est intéressant de changer d’individu pour repartir sur un inconnu. Je pense à un exemple concret : l’une de mes chiennes a eu plusieurs mauvaises expériences avec deux Labradors chocolats, en club canin, qu’elle ne supporte plus de voir, même s’ils ne l’approchent pas. On peut observer ça froidement comme étant un apprentissage avec une généralisation possibles aux Labradors chocolats et, on peut décider de travailler justement dans ce cadre qui se reproduit : ensemble, au club canin. Néanmoins, leur relation compte et le fait qu’elle n’apprécie pas ces deux chiens précis va venir freiner automatiquement notre travail sur sa réaction. Alors qu’en divisant le signal et en travail sur « les autres chiens » (pas chocolat et pas Labrador), puis chocolat ou Labrador mais pas les deux avant d’envisager de travailler la combinaison des deux et en travaillant avec d’autres individus uniquement, on ne tirera pas ce boulet de l’inimitié derrière nous. La question c’est : est-ce que le problème c’est qu’elle n’aime pas ces chiens là précisément ? Alors effectivement, c’est avec eux qu’il faudra bosser. Ou est-ce que le problème c’est qu’elle ait retenu que les Labradors chocolats posent soucis ? Pour ma part, c’est qu’elle ait généralisé à tous les Labradors chocolats. Elle a tout à fait le droit de ne pas aimer ces deux-là !
De la même façon, nos relations avec nos chiens vont venir nous aider ou nous compliquer la vie dans les activités qu’on leur propose ou encore dans l’éducation. Une bonne relation aide pour apprendre le rappel. Une mauvaise relation n’empêche pas le rappel, mais elle peut clairement ralentir les choses. Malheureusement, une bonne relation appelle à une meilleure relation puisque l’on va faire plus de trucs sympas ensemble et que l’on sera plus indulgent aux soucis. A contrario, une mauvaise relation risque de s’empirer car tout ce que le chien fait qui ne sera pas parfait peut provoquer des aigreurs et nos réactions peuvent également braquer le chien.
Ce prisme de l’amitié et de l’inimitié a donc un très fort intérêt au sein de la protection animale puisqu’il va impacter l’utilisation de méthodes plus ou moins douces (et cela quelque soit notre point de départ, que l’on commence avec une éducation positive ou avec des outils employant l’inconfort, la peur ou la douleur) mais qu’il a également un fort impact sur le risque de négligence ou d’abandon. Si les circonstances peuvent forcer une personne à l’abandon, on peut imaginer qu’elle fera néanmoins plus d’efforts et plus de sacrifices pour l’éviter si elle a une forte amitié avec son chien. Imaginons que la personne doive se faire hospitaliser. Il existe des solutions qui vont de l’ordre de l’entraide (demander à de la famille ou aux voisins de s’occuper du chien temporairement) à l’emploi de professionnel (pension, promeneur, …). Cela va néanmoins demander à la personne de l’organisation, du temps pour gérer tout ça, de l’énergie et sans doute de l’argent. Ce sont des sacrifices qu’il sera plus simple de faire pour son meilleur ami canin que pour un chien qui vit avec nous sans qu’on ne l’apprécie de trop. Un autre exemple, si la personne doit déménager, en fonction de son niveau d’amitié avec son chien, il pourrait devenir un critère primordial dans le choix du logement afin que ce soit adapté à lui… Si le chien n’apporte aucun critère sur le choix du logement et que finalement le logement est jugé inadapté, la relation de départ a sans doute eu une véritable influence.
L’autre soucis qu’il va falloir prendre en compte, c’est l’idée de spirale infernale ou de pente glissante. Quand on est dans le cadre de l’inimitié, il faut de moins en moins d’éléments négatifs pour que la relation s’empire grandement. Cela va de plus en plus vite alors quand on repère ce type de relation entre nos propres chiens ou entre nous et nos chiens, il faut essayer d’intervenir le plus vite possible et surtout, ne pas penser que ça va se tasser. Non, il y a plus de risques que ça dérape de plus en plus que de chances que ça se tasse tranquillement sans que l’on ne fasse rien.
Et donc, que fait-on ? Il est possible de transformer certaines inimitiés en amitiés, mais en matière de relation il faut avoir quelques détails en tête. Déjà, rien n’est perdu, mais rien n’est gagné non plus. Ensuite, la seule personne que vous pouvez changer, c’est vous. Si vous repérez que votre relation avec votre chien se dégrade, décider de changer le caractère du chien ou ses comportements, ce sera beaucoup d’efforts qui risquent d’échouer ou de vous contrarier encore plus. La première étape, quand on est concerné, c’est sans doute de faire un travail sur soi-même. Certaines personnes adoreraient ce même chien, mais dans l’état, elles ne le voient juste pas comme vous. Essayez d’enfiler leurs lunettes peut aider. Je prends un exemple bateau mais réel, j’ai tendance à mal supporter les aboiements, les sauts et l’excitation. Quand je descends, l’un de mes chiens saute, aboie et monte en excitation. C’est un comportement qui me braque. Pourtant, on pourrait également dire que ça montre sa joie, que c’est mignon et se concentrer sur le fait qu’il ne saute qu’une à deux fois, qu’il aboie à peine et qu’il se calme très vite une fois que je suis là. Ce chien est excité et content de me voir. Juste en prendre conscience aide à mieux accepter le comportement.
Attention, je ne suis pas en train de dire que rien n’est faisable pour changer le comportement d’un chien, seulement, on ne va pas s’attaquer à sa personnalité ou à son caractère. On peut s’attaquer à comment il exprime les choses et ce sera un gros boulot. Si vous trouvez difficile de changer vous-même, alors que vous en comprenez l’intérêt, l’objectif, le but, … vous imaginez ce que représente le fait de changer un autre individu qui gère seulement ses émotions, ses besoins, ses envies en fonction de qui il est ? De base, il n’a aucun intérêt à changer.
Mais parfois nous ne sommes pas concernés, on voit l’inimitié entre un autre membre humain de la famille et le chien ou entre deux chiens. Quand le problème ne nous concerne pas directement, mais qu’il concerne un autre humain, en discuter est sans doute une bonne idée mais cet humain peut refuser de changer. Et si c’est entre chiens, la discussion sera d’autant plus vaine. Ca ne veut pas dire que l’on ne peut rien faire, seulement qu’il va falloir être malin par exemple en passant par des modifications de l’environnement. Imaginons que ce soit mon compagnon qui ne supporte pas les quelques sauts, aboiements et l’excitation de notre chien lorsqu’il descend. Cette situation dépend entièrement de notre environnement. Si le chien est sorti en promenade, avec moi, lorsqu’il descend : la situation n’existe plus. Si le chien est dans une autre partie de la maison, pareil. Pour que cela se produise, il faut un certain nombre de critères et parfois, on peut changer certains de ces critères sans aucun souci. Par exemple dans les points qui étaient durs à mes yeux, il y avait les aboiements à la fenêtre derrière laquelle se trouvait des lapins sauvages. Faire fuir les lapins c’est dur. Demander à mon chien, très chasseur, de rester calme à vue, c’est dur. Mettre un film sur la vitre qui fait qu’il ne voit plus les lapins sans que je perde en luminosité dans la maison c’est facile par contre et cela va venir aider à notre relation. Le but ici c’est au moins de ralentir la dégringolade…
On devrait toujours poursuivre le fait d’avoir une bonne relation dans son groupe et ce prisme de l’amitié et de l’inimitié peut réellement nous aider à observer et essayer de corriger ce qui ne va pas, ce qui m’amène à vous souhaiter de bonnes observations.