Il existe une analogie que j’aime beaucoup concernant les races ou plus globalement la génétique, c’est celle du « terrain favorable ». C'est une analogie assez longue mais qui permet d'imager particulièrement bien ce sujet complexe. J’ai la sensation qu’à cette analogie que je vais vous détailler, on pourrait y opposer une seconde, celle de la liste à cocher.
Commençons par elle. L’idée de la liste à cocher est toute simple, un chiot, disons un border collie, mais nous pourrions prendre une autre race pour l'exemple, vient de naître et ce chiot qui pour l’instant rampe sous sa mère à la recherche d’une mamelle, nous pouvons déjà dire qu’il présentera un certain nombre de comportement. Ces comportements, les voici :
- Adopter des postures basses
- Fixer les objets en mouvement
- S’interposer et arrêter les objets en mouvement
- Réfléchir vite
- Se mettre facilement à distance de l’humain
- Contourner facilement
- …
Bon pour l’instant, il ne fait que ramper et téter, mais nous attendons de lui pour ce que ce soit un « vrai border collie » tout une liste qu’il va devoir cocher et cela va entraîner une seconde liste qui dit en substance : « pour que votre border collie soit heureux il faut » :
- Le faire travailler
- Lui faire faire du troupeau
- …
La liste à cocher, c’est facile, c’est simple, ça se construit vite et beaucoup de personnes s’y retrouveront sans aucune difficulté. Ça donne même l’impression d’être une super aide puisqu’ainsi on sait quoi faire. Seulement comme on l’a dit, pour le moment ce chiot ne fait rien de tout ça et si on veut être un peu plus réaliste, il est intéressant d’aborder notre seconde analogie qui est celle du terrain favorable.
Nous avons toujours le même chiot et puisqu’il est né, sa maman et son papa lui ont transmit leurs gènes (une partie au moins). Tout ce qu’il fera ensuite sera à partir de ce terrain génétique que l’on va comparer à un jardin. Tous les jardins ne sont pas identiques, certains sont très humides et planter un saule pleureur aura du sens. D’autres sont au contraire très arides et les cactus seront plus adaptés. Seulement ce terrain, si c’est notre base de départ, il va néanmoins évoluer en fonction de la météo et puis des aménagements, de ce qu’il se passe concrètement dessus parce qu’on ne va pas que l’observer de loin, non, nous allons le faire évoluer. Alors on ne fera jamais évoluer la base, qui est purement génétique, mais en plantant un saule pleureur dans un terrain très humide, il va pomper l’eau et nous permettre de faire d’autres choses. Si on creuse une mare, on aura au contraire une zone où nous pourrions planter des nénuphars chose impossible au départ, sans aménagement, mais au final, le terrain le permet. Notons que sans intervention humaine, le terrain évolue également au gré des saisons. Ce n’est pas simplement une évolution naturelle, un vieillissement du terrain, c’est aussi d’autres choses qu’il s’y passe. Si le jardinier, c’est l’humain avec qui le chien vit, c’est également l’autre chien avec qui il vit et puis cet autre jardinier de passage qui n’est qu’un congénère rencontrer au gré d’une balade… N’importe qui peut arriver et jeter une poignée de graine au final…
Ce qui va être très important de comprendre, c’est que tous les chiots border collies qui rampent actuellement sous leurs mamans n’ont pas exactement le même terrain, avec le même taux d’humidité, les mêmes pentes, les mêmes compositions de terrain… S’ils sont tous issus d’une sélection cohérente allant dans le même sens, on peut s’attendre à ce que leur terrain de départ se ressemble un peu comme s’il était issu de la même région. Disons que ce sont des terrains voisins. Mais il est tout à fait possible que certaines lignées ou certaines sélections aient un terrain sensiblement différent. Un peu comme si au lieu d’avoir un terrain humide, vous aviez un marécage. C’est sympa aussi un marécage, plein de choses peuvent y voir le jour, mais pour un jardinier, ce n’est peut-être pas l’idéal surtout si on avait prévu autre chose.
Donc chacun de ces chiots a son propre terrain, un peu différent de celui de son frangin, mais potentiellement très similaire puis, la vie passe par là et ces deux frères deviennent de vieux papis chiens. Ont-ils à présent le même jardin ? Il y avait deux bases similaires, ils sont carrément frères. Seulement, ils n’avaient pas la même météo, ils n’ont pas reçu les mêmes aménagements, les mêmes plantations, … Alors ont-ils le même jardin avec les mêmes fleurs, le même potager peut-être ? Non. En faites, l’un d’entre eux n’a peut-être même pas de potager.
Partir d’une même base, ça n’implique pas d’arriver au même point et d’avoir fait le même chemin.
Le truc c’est que si on vous dit : « sur ce terrain, il faut absolument planter des violettes » alors on augmente les chances que vous plantiez des violettes et donc les chances que vous ayez des violettes à la fin. Si on vous dit : « dans cette région, il n’y a que les violettes qui poussent », il ne faudra pas être surpris si au final tous les jardins sont remplis de violettes et en soit, ce n’est pas grave. C’est cool aussi les violettes.
Ce qui est dommage, c’est que dans la région (qui représente notre race), il y a aussi des terrains un peu différents. Une zone avec beaucoup de pierres, relativement arides et puis des endroits très humides, nos marécages. Sans aménagement particulier, planter des violettes, ça ne fera rien pousser. Alors ces jardiniers peuvent tout à fait travailler comme des fous pour aménager leurs jardins jusqu’à ce qu’il ressemble à celui du voisin et que les violettes prennent (ouf ?). Ou alors, ces jardiniers pourraient commencer par se demander : ce jardin, il ressemble à quoi pour le moment ? Ok, très humide, grand, une petite pente, un début de mare naturelle, … Ou au contraire, ok, très vallonné, des gros cailloux de partout, des zones sableuses, … Et à partir de là, au lieu de semer des violettes, ils pourraient décider de faire autre chose. D’ailleurs ceux qui ont le terrain type, unique certes, mais très ressemblant aux autres, ils peuvent eux aussi décider de semer autre chose et avoir un super jardin à l’arrivée…
Dans cette analogie, tous les comportements sont comme des plantes de variétés différentes. Certains sont si courants qu’on pourrait les appeler « herbe » (disons renifler ?) et d’autres si tenaces qu’on pourrait les appeler « ronce » (disons aboyer ?), quand ils sont attendus par l’humain ils deviennent de jolies fleurs disons des « violettes » ou des « roses », quand ils sont utiles, ils deviennent un peu le potager dans lequel on pioche et ce sont des « patates » ou des « fraises ». Le terrain appelle certaines choses à pousser, c’est sûr, mais en plein milieu d’un désert, on peut construire une oasis. On peut se décarcasser à creuser des puits pour trouver l’eau ou à arroser abondamment jusqu’à réussir à avoir un peu d’humidité. Le jardinier, qu’il le veuille ou non, n’est pas passif. Juste en passant dans le jardin, il a tendance à laisser un début de sentier après tout…
Et pour aller plus loin avec cette analogie, je vous propose un parallèle « concret ». Imaginons que l’humidité de départ ce soit l’excitabilité. Ce chien a un terrain qui est un véritable marécage, le moindre sursaut de joie le met dans des états extrêmes et il n’arrive pas à se calmer. On l’a vu, mon terrain type pour cette race est humide, mais normalement, on ne se trempe pas pour autant. Cette excitation, cette joie, elle est nécessaire dans une certaine mesure pour pouvoir amener le chien à faire des trucs, mais là, elle est tellement envahissante qu’elle devient étouffante. Quand on essaie de lui apprendre un truc, il est si excité qu’il n’arrive ni à réfléchir, ni à se poser. C’est l’état de départ de son terrain : un marécage. Dès que nous faisons un pas, on se trempe les pieds. Dès qu’on sort une friandise, le chien saute, pose son cerveau et fait strictement n’importe quoi. A ce stade-là, il est impossible de dire à quoi va ressembler le jardin final, mais on peut déjà avoir certaines idées en tête. Certains jardiniers vont essayer de creuser une grande mare et rejeter tout le reste de la terre dans le jardin afin d’essayer d’en faire une partie cultivable. Cela revient à essayer de concentrer toute l’excitation du chien à un endroit, une activité qui va le canaliser afin que le reste du temps, il soit un peu plus gérable. D’autres vont tenter de mettre des genres d’éponges, un peu de partout, pour diminuer le taux d’humidité dans tout le jardin. Cela revient à capturer le calme, travailler à détendre le chien, faire des activités apaisantes, … Ils vont planter tout ce qui consomme beaucoup d’eau, leur but c’est déjà, d’arrêter de se mouiller les pieds. On est pas du tout sur de la plantation unique, ils cherchent tout ce qui peut aider. D’autres encore vont simplement trouver ça chouette et sauter dans les flaques à pied joint. Ce sont les gens contents de leur chien excité et joyeux. Sauter dans les flaques, c’est chouette aussi, ici, je ne fais pas de jugement de valeur c’est juste pour montrer qu’avec ces trois jardiniers, on est assuré d’avoir trois jardins très différents à l’arrivée.
Ce qui est important de garder en mémoire c’est que sur un terrain « moyen » : humide mais pas trop par exemple, il est possible de faire beaucoup de choses différentes et sur les terrains « extrêmes » : marécage, mare intégrée ou même morceau d’océan, il est encore possible de faire beaucoup de choses différentes. Alors bien-sûr, on peut jouer aux cases à cocher et annoncer que cette région est faite uniquement pour les violettes, mais c’est pas forcément vrai et c’est pas une obligation pour autant. D’ailleurs, les bons jardiniers ne s’y tromperont pas. Ils ne vont pas s’arrêter à l’annonce de la région, ils vont essayer de vérifier le patelin exact, ils vont vouloir voir les jardins voisins et finalement, s’ils se décident, ils vont bel et bien tester leur jardin pour voir de quoi il est fait. Décider de ce que l’on plante avant même de s’assurer du terrain que l’on a en face c’est un peu dommage… et ça peut conduire à de très grosses déceptions. Et au cas où l’analogie n’ait pas été comprise, les humains avertis ne vont pas s’arrêter à la race, mais ils vont regarder la lignée (s’il y en a une de connu), la famille, les parents, les frères et sœurs adultes (s’il y en a)… Ce travail d’enquête va leur donner les informations nécessaires pour se faire au moins une idée sur comment devrait évoluer le chiot en question et après tout ça, c’est le chiot en lui-même qu’ils vont observer car au bout du compte, on se retrouve seul face à l’individu.
Par exemple, j’adore les exercices de capture du calme… Dans ma grande analogie, c’est devenu une éponge à humidité. Il est hors de question de l’appliquer à un chien apathique qui ne remue pas ce serait un contre-sens des plus complets. Que le terrain type annoncé soit humide n’y changera rien d’ailleurs, ce n’est juste pas adapté à notre situation.
Le souci de tout ça, c’est que cela suppose d’accepter d’observer et de tester. C’est moins facile qu’une liste à cocher c’est sûr ; ça ne permet pas de mettre les races et les humains potentiels dans des cases, c’est vrai ; ça limite les préventions rapides et ça suppose d’éduquer réellement au comportement et à ses variations, ce qui n’est pas super pratique on est d’accord… mais c’est drôlement plus sain et efficace à l’arrivée.