Retour sur la domestication du chien

Ecrit par Céline , il y a 9 ans, 1 mois

La domestication du chien est souvent remise en question, que ce soit dans la méthode ou pour sa période. Les études se contredisent encore, les unes les autres, alors qu’elles cherchent la meilleure méthode pour analyser les faits. Ainsi, le 5 février 2015, un rapport scientifique est publié sur le site nature.com, il explique que les os du plus vieux chiens, c’est-à-dire, potentiellement le premier chien … serait en réalité des os de loup.

Mais au final, qu’est-ce que ça change ? La date ou même comment ça a eu lieu ?
Et bien, si l’homme a réussi à domestiquer le loup et à le transformer en chien : bravo, Nous. Enfin, je veux dire, on est sacrément balèze ! Ca flatte carrément l’égo et on peut être content : on a fait du bon boulot. Parce que retenir un loup en captivité, il faut le faire. En fait, même simplement récupérer un louveteau est loin d'être facile… et une espèce ne se construit pas avec un seul individu.

Mais oui, mais oui, me direz-vous, l’Homme est très doué (l’imprimerie, l’électricité, les ordinateurs, les nano-robots sans parler des progrès de la médecine, vous vous rendez compte ?). Ça fait du bien à l’égo tout ça … Nous sommes une espèce douée ! Tellement, douée que nous parvenons à domestiquer d’autres espèces. Et ça, c’est cool. Sauf, si on se ment à soi-même. Outch, une note dissonante ! Quoi, nous ne sommes pas les meilleurs ? Au final, toutes ces études et elles sont nombreuses viennent étoffer une grande histoire. L’histoire de la domestication du chien.

Oui, bon, là vous allez me dire, c’est plutôt simple et basique : l’Homme prend le loup et le transforme en chien et tadam. C’est fait. C’est un peu magique en fait… Et puis, il y a ce généticien dont on parle assez souvent quand on aborde le sujet de la domestication. Il a prouvé qu’il est possible de partir d’animaux sauvages et d’arriver à des animaux domestiques, avec quelques changements physiques en cadeau bonus. Il s’appelle Dmitri Beliaïev. Comment l’a-t-il prouvé ? Eh bien, il l’a fait. Et puis, en 2014, on a commencé à voir fleurir des articles, une étude a révélé des gènes « de la domestication », des gènes qui jouent sur les fonctions neurologiques des animaux. Donc par la sélection, on peut parvenir à domestiquer une espèce.

Bon, le mec, je parle de Dmitri Beliaïev, il est généticien en même temps. Il n’a pas organisé les reproductions au pifomètre et il avait une idée de ce qu’est une sélection, mais tout de même : c’est possible. On sait plus ou moins faire. Ok, demain, vous n’allez peut-être pas domestiquer l’écureuil dans votre jardin, mais tout de même.

Mais oui, tout de même… Des hommes + des loups et pouf = des chiens ? Ca ressemble plus à un tour de magie qu’à un fait historique. C’est quoi le truc ? Partons de la base, il est possible, techniquement, de domestiquer une espèce par ses gènes, c’est-à-dire, par la sélection mais combien faut-il d’individus de départ ? Car si on sélectionne les plus sympas, ce qu’à fait Dmitri Beliaïev, il nous faut vraisemblablement éliminer de l’équation les moins sympas.

Donc j’ai mon écureuil, c’est un mâle. Je prends un second écureuil, une femelle. Pour pouvoir sélectionner les plus sympas, je décide de prendre deux autres écureuils, un autre mâle et une autre femelle. Ouais, ça va, j’ai de la place dans mon jardin et puis ils ne risquent pas de me dévorer. Bon, à l’époque, quelques soient cette époque d’ailleurs, c’était des loups. Ce qui est forcément un peu plus dangereux. J’ai donc quatre écureuils, j’en supprime deux parce qu’ils fuient dès qu’ils me voient et je garde les deux qui attendent que j’ai fait trois pas. Ils se reproduisent, j’ai ma première portée de bébé écureuil ! C’est trooooop mignon ! Ok et là, je fais quoi ? Je prends le plus sympa de la bande et je le fais reproduire avec ? Un frère, une sœur, un père, une mère ? Ah ben, non, la consanguinité, même si ça pourrait m’aider, ce n’est quand même pas top si je veux que mes futurs écureuils domestiques aient un minimum de défense immunitaire après X générations et au passage, qu’ils aient encore quatre pattes et deux yeux. Bon, je revois mes plans à la hausse. Il va me falloir un peu plus d’écureuil.

Dmitri Beliaïev a commencé avec combien de renards ? La plupart des sources parlent de 3.000 renards. Bon, 3000 écureuils, ça va peut-être commencer à faire serré. Et puis, il faut pouvoir tester leurs comportements, les isoler les uns des autres pour qu’ils ne fassent pas capoter l’expérience pour rien. Sacrée organisation, mais pourquoi pas. Et puis, les écureuils, ça ne fait pas trop mal quand ça mord … enfin, on peut espérer !

Bon, on a donc nos 3000 écureuils, on fait nos sélections, on est très doué pour ça alors on commence les reproductions et on nourrit tout ce petit monde. Ça va, ça va, les écureuils ça ne mange pas plusieurs kilos de viandes par jours. Pour le loup, on annonce entre 1.5 kilos et 4 kilos de viandes, tous les jours. Ouais, ok, à l’époque …
Quelle époque d’ailleurs ?

Et bien c’est tout le sujet de l’étude publiée récemment au final. On parle d’une domestication ayant eu lieu il y a 31.000 ans, sauf que si c’est le crâne d’un loup et non d’un chien, ça voudrait dire que le chien est apparu plus tard. Ce qui peut permettre de passer d’une époque où les humains n’étaient pas encore sédentaires à une époque où ils étaient sédentaires. Et ça, ça change énormément de choses. Pour donner une idée, à cette époque lointaine, on ne connaissait pas, à priori, des objets relativement simples comme l’aiguille … Mais on domestiquait les animaux par de la sélection génétique en retenant 3.000 loups, et on les nourrissait grâce à 4.500 à 12.000 kilos de viandes par jour… Ouais, heureusement que les écureuils mangent moins ! Sinon, mon projet tomberait à l’eau.

Maintenant, imaginez … Nous sommes en -30.000 environ et un jour, deux hommes discutent et l’un des deux lance : « Tiens, et si on domestiquait une bestiole. Comme ça, après, elle pourrait nous défendre, nous aider à chasser et nous tenir chaud. »
L’autre le regarde, un peu surpris et lui dit : « Ok ! Ça me tente bien. »
Dans la présentation, c’est clair que c’est tentant. Mais cet homme est prudent et il ajoute donc la question terrible :
« On commence par quoi ? »
Et le premier répond très naturellement : « On va choisir une bestiole, genre bien costaud, qui peut nous tuer si elle nous chope. On va en prendre quelques milliers, on s’en fout, au plus il y en a, au mieux c’est. Bon, moi, je vais construire les cages. Toi, commence à chasser, mais prend que des gros hein, parce que ça mange plus que nous ces bêtes-là ! Et puis, après, on commencera à les traquer. Oh et comme on n’est pas sédentaire, faut trouver une solution pour les déplacer, ok ? »

Le mec, il ne souffre pas de famine, il n’a aucun soucis pour se nourrir, il n’a rien à faire de sa journée et il estime que le meilleur truc à faire c’est de domestiquer une bestiole. Ok, j’admets. Ça a l’air pépère la vie, à cette époque … Mais quand ça ne marche pas, car ça ne marchera pas vraiment, il faut une cinquantaine d’année à cette vitesse là pour réussir le tour de force … donc, disons au bout de dix ans, il commence à voir des améliorations, mais tous les jours, il doit chasser en quantité, car même s’il tue le surplus, ils se reproduisent tous ces loups … et ils mangent aussi. Donc le mec, ça fait dix ans qu’il répare ses cages, limite les fugues, évite de se faire manger, chasse pour les nourrir et au passage qu’il tire des milliers de loups à sa suite … C’est un gros passionné et pas une seconde il doute. Non, non, il est du genre obsessionnel, il n’est pas du genre à se dire : ouais, j’ai comme un doute. Est-ce que ça marchera vraiment ? Vingt ans passent et le mec meure. Bah oui, désolée, mais en disant qu’il ait commencé à 10 ans, ce qui fait quand même hyper jeune vous me l’accorderez, il a 30 ans et à cet âge-là, plus de la moitié des personnes de sa génération sont déjà mortes et puis, il vivait quand même une vie un légèrement dangereuse. Vous imaginez vous, sélectionner le loup le plus sympa et l’amener à l’autre loup le plus sympa, de l’auuuuuutre côté du tas de loup ? Ah la fin, ça va, quand ce sont presque des chiens … et encore, je n’ose pas imaginer, mais quand ce sont des bons gros loups prêt à se défendre ? Donc, il survit 20 ans, ce qui est quand même hallucinant ! Et là, d’autres reprennent son projet ? Toute une communauté continue ce projet insensé durant des années sans avoir la moindre idée de ce qu’ils tentent de faire ou de savoir s'il est possible de le faire ?

Sérieusement, c’est crédible ? Oui, pour l’égo, c’est super chouette : nous avons domestiqué le loup et on en a fait un chien ! Yeah ! On a transformé un loup en chihuahua, en chien du Tibet ou encore en Lévrier Afghan. On est des magiciens et on s’aime. Ok. Mais sérieusement, deux secondes. C’est crédible ?

Ok, en général, on ne nous raconte pas la version exprès, de « comment on fait pour domestiquer une espèce en 50 ans environ … », ce qui correspond déjà à plusieurs générations pour l’époque. Donc, voyons l’autre version…

Donc, mais non, mais non, pas besoin de 3000 écureuils. Ouf, mon jardin n’y aurait pas survécut. Vous en trouvez un, orphelin *comme de par hasard*, vous l’élevez à la main et il s’imprègne de vous. Admettons, mais cela ne change absolument rien à sa génétique et aux fameux « gènes de la domestication ». Donc votre loup grandit, il ne s’échappe pas, il ne vous attaque pas, il est parfait. Un vrai chien … oui, oui, déjà. Bon … admettons encore. Puis vous trouvez un second louveteau, tout aussi orphelin et rebelote. Et puis, ils se reproduisent, si, si, c’est nécessaire à un moment où un autre. Et de génération en génération, tout le monde récupère des louveteaux orphelins, c’est une tradition comme une autre … et personne ne se fait manger. Jamais. Enfin, si vos parents se sont fait manger par un loup qu’ils ont élevé, j’ose croire que vous n’allez pas dorlotez un louveteau comme ils ont pu le faire, non ? Sinon, au lieu de créer une nouvelle espèce, c’est une lignée qui risque de disparaitre …

Bon, ça, c’était les difficultés de base. Ça va vous prendre des milliers d’années, mais main dans la main, qui sait. Donc durant, X années, tout le monde accepte de vivre au côté d’un prédateur, dangereux, de le nourrir, alors qu’il ne sert à rien en l’état, … pour un rêve fou : créer le chien.

J’ai donc une question. Qui se lance avec moi dans la domestication des écureuils ? Tout le monde me suit ? On en a juste pour quelques centaines d’années pour vérifier la théorie … Non ? Ben les copains, vous pourriez y croire un peu quand même !

Bon, ça c’était le point étrange. Mais qu’est-ce que ça change exactement si les crânes de chiens sont moins vieux ? Et bien, on tombe dans les dates de la sédentarisation avec tout ce qu’elle comporte, dont un fort impact sur son environnement. Ok, là autant être honnête, l’égo, il ne va pas aimer. Donc on va expliquer ça avec un autre sujet, pour ménager nos petits cœurs sensibles. On va rester sur le loup, il y a une superbe vidéo qui explique comment le loup à changer les rivières.

Au parc national de Yellowstone, aux Etats-unis, le loup est ré-introduit. En étant réintroduit, il commence à changer son environnement et l’effet papillon arrive … Il y avait un problème dans le parc : le nombre de cerf. L’homme avait beau essayer de les réguler, les cerfs étaient trop nombreux et la végétation en prenait un coup. Un énorme coup … Puis les loups arrivent. Ils ne tuent pas énormément de cerfs, mais ils amènent les cerfs à changer de comportements. Ils les rendent méfiants et les cerfs commencent à éviter certaines zones du parc notamment les gorges et les vallées où ils pouvaient être piégés facilement.

Dans ces zones maintenant plus dangereuse, la végétation pousse. Ce ne sont pas juste des prairies qui renaissent, mais de véritables forêts de peupliers et de saules. Là, le nombre d’oiseau augmente, ils s’installent dans ce nouvel environnement, le nombre de castor grandit lui-aussi, sans doute grâce aux arbres. Le castor modifie son environnement en construisant et bientôt, il fournit un environnement qui attire loutres, ragondins, canards, poissons, reptiles, amphibiens …

Les loups ont tué des coyotes … et le nombre de lapin, de souris ont augmentés. Ce qui a permis à certains chasseurs de revenir tels que les faucons, les belettes, les renards et les blaireaux. Les charognes abandonnaient par les loups ont permis d’attirer les corbeaux et les aigles, mais également les ours. La population d’ours évolue grâce aux charognes mais également à la végétation fleurissante et aux baies qui apparaissent. Les ours tuent quelques faons, aidant eux aussi à la régulation des cerfs.

Bon, c’est déjà énorme. Les loups ont permis d’augmenter ou de faire revenir : les oiseaux, les castors, les loutres, les ragondins, les canards, les poissons, les reptiles, les amphibiens, les lapins, les souris, les faucons, les belettes, les renards, les blaireaux, les corbeaux, les aigles, les ours, … Ca suffit non ? Non. Le comportement de la rivière a changé grâce à la végétation qui a renforcé ses berges. Elle a moins zigzagué des marres se sont formées, parce que l’érosion était limitée. Le paysage a changé …

Maintenant imaginez qu’un groupe d’Homme s’installe et cultive. Vous imaginez le nombre de changement possible ? Bon ou mauvais, on n’est pas là pour juger, juste dire que dans les faits, une espèce peut amener énormément de changement. Et c’est là que notre égo va en prendre un sacré coup. Et si le chien s’était domestiqué tout seul ? Si les moins trouillards s’étaient rapprochés, peu à peu, pour profiter de nos déchets ? A force, les plus sympas, ceux que l’on risque le moins de chasser, se seraient eux-mêmes sélectionnés.

J’aime cette théorie, car elle me parait moins tirée par les cheveux. Rien n’empêchait ces animaux d’aller chasser, de se nourrir, de compléter avec de la nourriture facilement trouvable dans les déchets. Et cette théorie n’exige pas que des groupes de personnes vivant quelques petites décennies se mettent en danger consciemment pour poursuivre un fantasme.

Alors, pas d’élevage d’écureuil dans le jardin ? Oui et non … Vous avez vu comme certains s’approchent dans les parcs ? Pour volez quelques miettes ? Alors … nous verrons bien. Oui, nous verrons bien. En attendant, les études sur la domestication du chien, de quelle espèce il vient exactement, à quelle période, … n’ont pas fini de fleurir et qui sait ce que nous pourrions encore découvrir ?

Pour ma part, je ne sais pas comment la domestication a eu lieu. J’aime croire qu’elle provient de tas de facteurs, très différents les uns des autres et de beaucoup de chance …